Je me raconte XVIII

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L'association des locataires fut pour moi une école.  J'appris le fonctionnement d'un organisme. Tout était nouveau pour moi. Le conseil; les comités, les équipes de travail...  furent pour moi l'occasion d'apprendre.  Ma participation coïncida avec l'arrivée du nouveau directeur général .  Il ne facilita pas le travail .  Nous dûmes embaucher une personne pour aider à la tâche.  Je fis parti du comité de sélection.  Nous reçûmes en entrevue 4 ou 5 candidats dont les CV avaient été retenu .  Notre choix se porta sur François Fournel.  Il accepta le travail.  Il était en attente d'un appel pour un travail de coopérant pour le Rwanda.  Il mit se projet en veilleuse.  Son aide nous fut précieuse.  Cher François!  Comme l'association avait été bannie des locaux habituels, nous dûmes louer à l'extérieur du HLM.  La location se fit dans des immeubles environnants et le local se trouvait soit au 2ième ou 3ième étage.  Pas d'ascenseur... on devait hisser la présidente dans son fauteuil roulant.  Une période noire de l'association.  

J'eus quelques problèmes de santé.  Je dus consulter en orthopédie pour un orteil qui me faisait souffrir quand je me chaussais et lorsque je devais rester quelque temps debout.  Je  vis le Dr Lafortune de St Luc. À la consultation, il me dit que cet orteil devait être redressé.  Je lui demandai de me faire ça en chirurgie d'un jour et sous anesthésie locale.  On expérimentait cette méthode et il me regarde et me dit:  vous n'y pensez pas... ça saigne un orteil , madame!!!   Je lui dis que j'avais déjà été opérée de cette façon au début des années 60.  Il consentit finalement et je fus appelée quelque temps après.  J'ai jamais tant regretté d'avoir demandé ça.  On m'installa sur le bloc opératoire et on ne plaça pas d'écran pour m'empêcher de voir leur travail.  Et voila que je me mets à trembler comme une feuille.  J'avais froid.  Le médecin me dit que c'était une réaction au liquide anesthésiant.  Peut être...  mais la peur devait y jouer un grand rôle aussi.  On me couvrit de couverture de laine et je pus être opérée.  Je fus de retour chez-moi pour le souper.  Je gardai la tige métallique dans l'orteil pour un bon 3 mois et quand je me présentai au bureau du chirurgien pour qu'il me l'enleva,  sa pince qui agrippa la tige glissa sans que la tige bouge mais ça me fit un mal !!!  Il se reprit et cette fois la tige sortit.  Il me regarde et me dit:  si jamais il y a autre chose vous reviendrez me voir.  Je ne perds pas de temps et lui répondit:  non; non; il n'y aura rien.  Il était accroupi à mes pieds et il leva le regard de ses yeux bleus vers moi et j'y lus une telle déception...  

J'avais repris les activités une semaine après la chirurgie.  C'était en avril et je pus me chausser sans trop de difficulté.  Les réunions succédaient aux réunions.  Je disais que nous souffrions de la "réunionite" aiguë.   En plus j'avais accepté que les locataires téléphonent à mon domicile...  le temps où nous n'avions pas de local.  Ce fut vraiment très accaparant. Mon mari n'appréciait pas beaucoup.  J'aurais dû exprimer des limites, permettre les appels seulement de telle heure à telle heure.  Mon téléphone devint vite une véritable ligne d'écoute.  J'en fis de l'écoute!!!  

Berthe et Hélène nous invitèrent à assister à la journée d'adieu de la supérieure de leur communauté.  Elle quittait son poste pour une autre mission.  Il y avait plusieurs personnes handicapées en fauteuil roulant parmi les invités.  Au départ de la supérieure, on nous installa en ligne dans la couloir menant à la sortie et la bonne religieuse nous saluait en nous disant quelques mots gentils.  En arrivant à moi; elle s'arrête net et dit:  ah! ben elle; c'est dommage.  Elle est si belle!!!  J'en fus stupéfaite et fort mal à l'aise vis à vis les autres personnes.  À mon avis; c'était aussi dommage pour les autres que pour moi.  

Depuis plusieurs années, j'éprouvais des sensations bizarres dans la gorge.  J'avais consulté en ORL dès les années 70.  On m'avait passé une batterie de tests et j'avais essayé un tas de médicaments sans résultat.  Le premier ORL consulté, au premier examen m'avait dit:  c'est pétant de santé... y a un petit bouton que je n'aime pas trop par exemple.  Il m'avait prescrit un antihistaminique qui n'avait donné aucun résultat.  À la visite suivante; il avait prescrit un anti-convulsant  sans plus de résultat.  À ma dernière visite, il m'avait dit:  vous parlez beaucoup vous? Vous avez les cordes vocales anormalement développées.  Je lui avais répondu que j'étais active dans une chorale ce qui pouvait expliquer la chose.  Il avait acquiescé. En me donnant mon congé; il m'avait dit:  retourne chez-toi et fais des tatas à ta famille!!!   Je ne le consultai plus. 

Quelque temps après; je demandai à mon médecin de famille de me référer à un autre ORL.  Je vis un médecin d'une polyclinique.  Ce dernier pratiquait à l'hôpital Jean Talon.  Il me prescrivit une sialographie . Il redoutait une pierre à la glande salivaire sous-maxillaire.  On doit opacifier la glande pour faire l'examen.  On injecte un liquide colorant par le canal  Wharton situé de chaque côté du frein de la langue.  Afin d'identifier l'endroit où aboucher la seringue, on nous presse dans la bouche du jus de citron; ce qui fait saliver.  Alors; à l'aide d'une tige métallique, on dilate le canal, ensuite on injecte le colorant avec une seringue.  Je restai une demi-heure sur la table d'examen.  Un mois plus tard; n'ayant pas eu les résultats de l'examen; je téléphone au médecin qui me dit:  je n'ai pas votre dossier ici, à la polyclinique.  Demain ; je vous téléphone de l'hôpital.  Le lendemain; il me dit:  le résultat de l'examen est qu'ils ont tenté en vain de radiographier la glande.  

Plus tard; je demandai à mon médecin de famille une recommandation pour consulter le Dr Gagnon.  Une voisine me le vantait. J'eus mon rendez-vous.  Je me présentai à la clinique par une de ces belles journées d'été.  Il faisait beau; donc mon mari me convainquit de m'y rendre avec mon fauteuil roulant. À mi-chemin; nous fûmes surpris par un orage.  J'arrivai à la clinique toute détrempée.  Je m'asséchai, débouclai la ceinture de sécurité de ma chaise et je vis une belle bande noire sur le devant de ma jupe blanche.  On finit par m'appeler pour passer dans le bureau du spécialiste.  Il m'écouta et il se mit à fredonner "Stone; le monde est stone" !!!  Il faisait référence à une pierre à la glande salivaire!  Il m'installe pour l'examen.  Il me dit: tirez la langue.  Ce que je fis.  Il l'agrippa entre deux compresses et dit:  ha! la belle grande langue.  Ça s'en a dit du mal de sa voisine!!!!  Me voila prise d'un fou rire.  Il réussit son examen et me prescrivit une sialographie.  Cette fois, je me rendis à l'hôpital Notre Dame.  On recommença le même manège.  Sauf qu'à un moment donné, je vis gicler un jet de salive. Je pensais que c'était le liquide dans la seringue.  La technicienne me dit: je pense que nous faisons le traitement en même temps que l'examen.  Cette glande n'a pas dû fonctionner depuis votre naissance.  Autant dire jamais.  Ils réussirent à faire la radiographie.  Mon médecin de famille reçut le résultat. Tout ce que ça disait c'est que la glande était remplie d'une épaisse boue salivaire.  Quand même... le fait d'avoir débloqué le canal me soulagea.  Dès que je parlais; la salive giclait.  Un vrai lama .

L'année suivante, elle était revenu comme avant; encore bloquée. Je consultai en ORL encore à St Luc.  J'eus une autre sialographie pour confirmer l'état de la glande.  On ne réussit pas à passer l'examen.  Le spécialiste décida de me l'enlever. Je fus hospitalisée un peu plus tard au début d'avril .., on me passa une série d'examens préparatoires à la chirurgie.  Surtout les poumons et le cœur.  Je vis arriver le cardiologue avec mon dossier en mains.  Il vérifia mon nom inscrit au pied du lit et me demande:  comment va le papa??? Interloquée, éberluée, surprise de sa question je répondis:  il est décédé depuis 6 ans. Il fit un mouvement de recul et je compris qu'il voulait parler de mon frère qu'il avait eu comme patient dans les mois précédents.  Il devait me trouver des airs de famille.  Je le rassurai sur l'état de santé de mon frère.  

Un matin, les infirmières faisaient le lit de ma compagne de chambre.  J'étais assise dans mon fauteuil roulant près de mon lit quand  l'une me dit:  on ne vous donnerait pas votre âge.  C'était la première dois que je voyais ces infirmières.  Je dis tout bêtement:  ça dépend  de l'âge que vous me donnez. Elles me dirent: nous connaissons votre âge; nous avons regarder dans votre dossier. On vous donnerais 34 ans.  Évidemment!!!   Ça faisait bien 10 ans de moins.

La chirurgie se fit.  On m'avait fait un pansement compressif à la gorge.  En passant mon peigne blanc dans mes cheveux, je vis que je devais avoir beaucoup saigné; mon peigne était rouge.  

Le lendemain vers les 4 heures trente je vis arriver Bernard Pépin, l'aide technique de l'association des locataires.  Il m'apporta le premier roman de Simone Signoret "Volodia".  Ghyslaine Poirier, la secrétaire de l'association s'était jointe à lui pour m'offrir ce livre.  Un peu plus tard apparu le nouvel employé de l'association.  Il arrivait avec une à la main et curieusement me vint à l'esprit la chanson de Diane Juster..

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Il est arrivé un matin 
Avec une rose à la main
En me disant qu'il était temps 
Que je me prenne un amant
Je l'ai regardé dans les yeux
Je lui ai dit fais ce que tu veux
C'est alors que l'on s'est couché 
Dans un lit chaud d'intimité

Vive les roses
Moi je veux vivre l'aventure
Vive les roses
Pour le peu de temps que ça dure.

J'avais trouvé cette arrivée très chevaleresque.

Berthe et Hélène me firent aussi visite.  Elles accompagnèrent mon mari qui bien évidemment venait me voir tous les jours.

La veille de mon départ, Claire et son mari Paul Émile Claire_P_E_Faucher.gif (57145 octets)vinrent me visiter.  On m'enleva mes points de suture, et on me fit un léger pansement et je fus de retour à la maison vers le 9 avril.  

Je repris mes activités et je commençai à réaliser que j'avais des problèmes d'audition.  Dans les réunions; j'avais beaucoup de difficulté à comprendre ce qui se disait dès qu'il y avait des toux ou qu'on chuchotait ou qu'on froissait du papier. 

Ma capacité d'entendre devait avoir diminuée depuis des années.  Me revint en mémoire le soir où attablée pour le souper, chez ma sœur; j'entendis mon beau-frère qui était mineur de son métier, dire: il y a beaucoup de nègre (il prononçait neille) dans la mine où je travaille.  Moi; je compris lynx...  Alors je m'exclamai:  tuez-les... leurs peaux se vendent chères que le diable!!!  Mon beau-frère me lança un regard  désapprobateur.  Et pour cause!!!!

Quand je retournai voir le spécialiste pour la visite post-opératoire, je lui en parlai.  Je lui demandai de me faire un audiogramme.  Étant seule dans la salle d'examen; je trouvai curieux d'entendre comme un bourdonnement de moteur. On me signala que mon ouïe était à 50% de la capacité normale.   Je demandai une prescription pour une prothèse auditive.  Le médecin me dit que ça ne serait pas très aidant.  Quand je lui signalai que je pensais que ça pouvait me facilité la tâche dans mes activités sociales, il consentit.  J'obtins ma prothèse quelque mois plus tard.  L'adaptation fut difficile.  C'est que ça amplifie tous les bruits.  L'ouïe en baissant nous fait perdre notre oreille sélective.  Plus moyen de se concentrer sur une seule source de bruit. 

Entre temps; je vis arriver une infirmière du CLSC qui me disait téléphoner chez moi et qu'elle n'obtenait pas de réponse.  Je n'entendais plus sonner l'appareil.  Des voisins m'avertirent que des gens sonnaient à l'intercom et que je ne répondais pas.  Je n'entendais plus le buzz de l'intercom. Je dus passer encore une fois en audiologie . Comme c'était une urgence, le CLSC m'obtint un rendez-vous dans une clinique privée et l'audiologiste après l'examen me dit que mon ouïe n'était plus qu'à 10%. On me dirigea vers l'Institut Raymond Deware pour évaluation.  On fit une demande pour tout l'appareillage d'avertissement pour mon environnement.  C'est à dire :  un avertisseur de sonneries de réveil, de téléphone, de porte d'entrée et d'incendie.  La demande fut acheminée à l'OPHQ où je fus placé sur la liste d'attente.

Un matin. à mon réveil, j'entendis un son de musique.  Je me levai et j'allai vérifier si mon mari avait oublié de fermer la radio avant de partir.  Je fis le tour de tous les appareils et tous étaient fermés.  Je réalisai que j'avais des acouphènes.  Le bourdonnement de moteur perçu lors de mon examen en audiologie en était un.  J'avais aussi un sifflement de bouilloire et maintenant s'ajoutait à ça la musique.  J'en parlai à mon médecin de famille avec qui j'étais depuis peu .  Un médecin du CLSC qui entendant ça me référa encore en ORL.  Il avait écrit sur le papier:  Entendre de la musique. Acouphène????  Il semblait en douter. D'autant qu'il m'avait demander si j'entendais aussi des voix.  Il devait redouter une maladie mentale. 

Je me présentai à mon rendez-vous avec une copie de l'audiogramme obtenu de la clinique privée.  La spécialiste confirma que le son de musique était bien un acouphène et à la vue du résultat du radiogramme, elle me dit:  vous avez tout un problème.  Je vous conseillerais des cours de lecture labiale.  Je vais vous prescrire un examen en IRM (imagerie résonance magnétique)  pour voir si  il n'y aurait pas une petite tumeur à l'oreille interne.  Je passai cet examen quelques mois plus tard. Il s'avéra négatif.  Il fallut bien que j'apprenne à vivre avec ce nouvel handicap.  Comme la perte de mon ouïe m'avait fait annuler toute participation à mes activités, je me dis qu'il ne valait pas la peine de me mettre à la lecture labiale.  J'avais déjà développé mon propre mode de fonctionnement et je m'aidais beaucoup en lisant sur les lèvres. J'avais développé ce moyen à mon insu et les spécialistes convinrent que d'apprendre la méthode enseignée me nuirait plus qu'autre chose.

Trente ans après ma polio, je m'aperçus que la fin de mes journées était pénible.  Surtout les journées plus chargées de travail, comme les journées de lessive.  Il me semblait que j'avais les pieds coulés dans le ciment.  J'éprouvais beaucoup de difficulté à les décoller du sol pour avancer.  Mon médecin, le Dr Pham, me passa une série d'examens. Tout semblait normal.  Je vécus comme ça en me demandant ce qui pouvait bien être la cause de cet état jusqu'à ce que je vis le Dr Pham arrivé avec un dépliant de la clinique post-polio de l'Institut Neurologique expliquant ce qu'était le syndrome post-polio.  Tout ce que je ressentais se trouvait dans les symptômes décrits sur ce feuillet.  Je pris donc rendez-vous avec le Dr Neil Cashman , responsable de la clinique, pour me faire confirmer qu'effectivement j'étais bien aux prises avec le syndrome. Ça expliquait pourquoi depuis quelques années je devais avoir recours à une marchette pour me déplacer. J'avais toujours marché en m'agrippant ici et là soit aux meubles; soit aux murs.  Maintenant à tout moment; je devais crier à l'aide parce que je craignais les chutes.  Un matin; je vis arriver mon mari avec une marchette.  Il était allé au CLSC et l'avait empruntée afin que j'essaie avant de m'équiper de cet outil.  Ça me sécurisa beaucoup.  Je pus fonctionner sans crainte de chuter.

 

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