Je me raconte IV

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 J'arrivai à l'Institut.  Je fus reçu par le Dr Talbot.  Après examen; il conclut que mes prothèses nuisaient à ma circulation et que ma cheville droite demandait une intervention chirurgicale.  Il suggéra l'hôpital Ste Justine.  Maman souffrant d'ulcères à sa jambe droite depuis fort longtemps devait être vu par un spécialiste de l'Hôtel Dieu.  Elle s'attendait à y être hospitalisée.  Je demandai au Dr Talbot d'être référée à la clinique orthopédique de l'Hôtel Dieu. Il se chargea de prendre le rendez-vous.  Maman ne fut pas hospitalisée.  J'attendis mon rendez-vous chez Gertrude Vaillant, fille du premier mariage d'oncle Jos.  Mes parents ne pouvant se permettre d'attendre si longtemps retournèrent chez eux.  Gertrude demeurait à Ville St Laurent.  Je me présentai à la clinique le jour fixé et y rencontrai le Dr Gariépy .  Celui-ci décida de mon hospitalisation pour redresser ma cheville.  Je fus placé sur la liste d'attente des hospitalisation et retourné chez Gertrude...Gertrude_V.jpg (37455 octets) qui vivant avec sa fille Rita Rita_V.jpg (32325 octets) et son fils Johnny Johnny_V.jpg (23645 octets) avait de quoi remplir ses journées.  Tous les trois travaillaient; il me semble du moins... quoique Gertrude devait être à la maison afin de veiller sur moi. (J'ai occulté de ma mémoire des moments pénibles) C'est là que je pris conscience des difficultés financières que devaient vivre mes parents à cause de mes fréquents séjours dans les hôpitaux montréalais.  L'assurance maladie était loin de notre quotidien à l'époque.  Gertrude m'accueillit avec une belle hospitalité; papa s'obligea à la dédommager.  L'appel de l'hôpital tarda.  Je fis pression par téléphone.  Tous les jours; je m'informai de la progression de mon nom sur la liste d'attente.  Je fus finalement hospitalisé dans une salle de 4 lits de l'aile Ste Vierge.    Denise_a_l_hotel_Dieu.jpg (42350 octets)   Gisele_Gagnon.jpg (30940 octets)

(avec mes compagnes de chambre)

Première chirurgie:  le Dr André Derôme opéra ma cheville droite. Il redressa l'articulation et la souda.  Ma jambe fut mise dans le plâtre jusqu'à hauteur du genou.  Je revins dans ma chambre.  L'anesthésie me rendit malade.  En nausées et vomissements pour 48 heures. Les deux journées suivant la chirurgie furent toujours pénibles.  Pas tellement par la souffrance; surtout par tout ce qui entoure une chirurgie.  D'abord dès le retour de la salle de réveil; je voyais l'aiguille du soluté accrochée au support ce qui me laissait entendre que les infirmières viendraient me le réinstaller. 

  Denise_a_l_hotel_Dieu_2.jpg (44756 octets) Ici; avec une compagne de chambre; jeune fille de mon âge, Floriane avait subi de graves blessures lors de l'explosion d'une fournaise à gaz.  Elle était hospitalisée pour une chirurgie à ses doigts.  Elle gardait des complexes parce qu'elle était défigurée.  Quelle belle âme!!!  Toujours souriante et  d'une gaieté contagieuse.  Elle fut pour moi source d'inspiration.  Elle venait d'obtenir son congé. Hotel_Dieu_61.jpg (28681 octets)

Les aumôniers de l'hôpital étaient des pères de la congrégation de La Salette. Le père Isabelle fut mon préféré.  Il était calme, posé, réconfortant.  Le père Fortier...  tout un numéro!  Il venait rendre visite aux malades dans la soirée, après le départ des visiteurs ce qui coïncidait avec la préparation des patients pour la nuit.  Bien souvent il nous surprit les foufounes à l'air pour la friction du dos et il chantait la chanson si populaire de Roger Miron; À qui le p'tit cœur après 9 heures.  Il en changeait les paroles pour celles-ci: À qui le p'tit cul après 9 heures!!!  Pour un prêtre; fallait le faire!   Voyeur un peu.  Le voici:  moi_et_R_P_Fortier.jpg (25674 octets)

Tous les jours; quand le médecin vint, je le suppliai de faire les autres chirurgies rapidement.  Toujours dans le but d'écourter le plus possible mon hospitalisation.  J'avais été averti que chaque immobilisation par le plâtre devait durer trois mois et je savais qu'il m'en restait deux autres à venir.  Si j'eus écouté les médecins; l'hospitalisation eut perdurée. Dès que le médecin franchissait le seuil de la porte de chambre; je lui demandais: " Quand la prochaine opération?"  Il répondait: Les autres veulent retarder la chirurgie et elle chiale pour le contraire...  Je désirais les trois interventions pour faire le temps d'immobilisation le moins long possible. Il accéda à mes désirs.

Quelque temps après; par un bel après midi, je vis arriver deux jeunes filles de mon âge à mon chevet.  Des étudiantes qui travaillèrent à la cuisine de l'hôpital pour les mois d'été.  L'après-midi leur laissait du temps de libre et pour se divertir; elles se promenaient sur les étages.  Elles avaient remarqué que je n'avais jamais de visiteurs.  Nous fîmes connaissance et elles revinrent occasionnellement les premières semaines.  Nous nous plûmes tellement qu'elles prirent l'habitude de venir tous les jours, sauf les fins de semaine où elles étaient en congé.  Denise Lalime Denise_Lalime.jpg (32845 octets)  future institutrice, fut l'initiatrice des visites et y était accompagnée le plus souvent de Nicole Medza, une descendante italienne, qui demeurait sur la rue St Urbain en face de l'hôpital.  Elles prirent l'habitude de me suggérer des aliments pour mon repas.  Le plateau était digne d'un grand hôtel.   À l'Hôtel-Dieu la nourriture était délicieuse à comparer à celle de Pasteur.  Grâce à mes amies; j'eus des gâteries, genre sandwich à la crème glacée, de beaux fruits qui devaient être pour les patients des pavillons Olier ; De Bullion et Le Royer. Les gros bonnets y étaient hospitalisés. 

L'HÔTEL-DIEU était administré par la congrégation des Sœurs de ST-JOSEPH. Sœur Choquette, dirigeait l'aile Ste Vierge.  Un jour elle vit mon plateau et entra me demander des éclaircissements.  Elle tomba mal.  Le Dr Gariépy était avec moi; il écouta son discours et devant mon malaise , prit ma défense et dit à la bonne sœur : " Avec tout ce qu'elle a à subir comme opération; aimeriez-vous mieux payer des bouteilles de sérums ou des fortifiants?"  Il faut dire que j'étais hospitalisée sur l'assistance publique !  D'où la volonté de rationnement de la bonne religieuse.  De toute façon; elle tourna juste sur un talon ... je n'entendis plus rien sur le sujet.  Mes amies continuèrent de remplir mon cabaret.  Elles avaient la complicité de la religieuse en chef de la cuisine.  À la fin de mon séjour; Denise et Nicole me descendirent à la cuisine pour faire les présentations.  Une toute jeune religieuse , Sœur Claire qui se dit très heureuse de connaître enfin celle qui lui faisait faire des entorses aux règlements.

Nicole m'apporta souvent un thermos du bon spaghetti italien de sa mère!!!

Ces jeunes filles tentèrent elles aussi de me présenter des garçons, sans grand succès.  Elles devaient se garder les plus beaux spécimens ; parce que comme échantillons!!!

Deuxième chirurgie: le Dr Roger Gariépy m'opéra le gros orteil du pied gauche.  Ce sont les muscles des orteils qui me permettaient de relever le pied avec comme conséquence des orteils qui se repliaient en griffes. Il redressa le gros orteil; soudant les articulations et plaçant une tige de métal dans l'orteil pour un certain temps afin de permettre l'ankylose. Il fit aussi un transfert de muscles.  On me plaça un plâtre jusqu'à hauteur du genou.  Même scénario que l'autre chirurgie pour les lendemains.  Avec en prime les taquineries du personnel médical et infirmier qui firent souvent le geste de vouloir me secouer l'orteil en agrippant la tige de métal .

Le R.P. Sarault vint me visiter un peu avant cette chirurgie.  Il arriva avec un catalogue envoyé par ma mère.  En me le donnant; il me dit:  tu regarderas les robes de mariées !!! Je ne compris pas ce qu'il voulut dire!  L'idée du mariage était bien loin dans mon esprit.

Il arriva souvent qu'on annula mon opération.  Ça arriva trois jours d'affilés. On m'y préparait. À l'époque la préparation pour la salle d'opération était: le rasage; le lavement; la désinfection avec du physo-ex  et on me mettait de long bas en coton pour garder la région à opérer propre. On annulait vers la fin de l'après-midi.  On recommençait la préparation pour le lendemain.  J'eus ce traitement trois jours de suite.  Au troisième jours , la façon n'y était plus et c'est un de ces jours que je reçu la visite du Père Sarault. Suivi de celle de mon frère Henri. Leur visite fut courte.

Peu après cette chirurgie , nous fûmes transférées à l'aile Ste Thérèse parce qu'on fit des réparations majeurs aux chambres de l'aile Ste Vierge.  L'aile Ste Thérèse était constituée de deux grandes salles de 12 lits.  Sœur St-Jean  en avait la charge.  Mes amies de la cuisine m'avertirent qu'elle n'était pas du genre très commode.  J'arrivai là sur mes gardes.  Je me fis le moins dérangeante possible.  La salle était de forme rectangulaire avec sur son côté le plus court, deux lits la tête appuyé au mur; ensuite sur le long côté du rectangle, il y avait une fenêtre tout près de la tête d'un des lits et mon lit se trouvait près de cette fenêtre et les neuf autres suivaient séparés par une table de chevet.  Au département Ste Vierge; les quatre lits de ma chambre étaient occupés par des cas d'orthopédie.  Sur Ste Thérèse; on y accueillait tous les genres de patients.  Les cas de confusion mentale furent les plus pénibles.  La promiscuité à quatre était tolérable, mais à douze, je trouvai qu'on était nombreux !

C'est dans ce département que je subis la troisième chirurgie.  Elle fut pratiquée à mon épaule droite. Mon bras droit était resté dysfonctionnel après la réhabilitation.  Les muscles du bras; biceps, deltoïde et triceps, étaient atrophiés avec pour résultat un humérus sorti de la clavicule.   Seuls les ligaments tenaient ces deux os rattachés.  Le Dr Gariépy m'expliqua l'intervention qu'il projetait.  Je n'y compris pas grand chose.  Tout ce que je saisis; fut qu'on coupait la tête de l'os, l'humérus; et qu'on le rattachait à la clavicule.  Qu'on faisait le transfert de certains muscles qui existaient et qui me permettaient des mouvements du bras dans mon dos.  Que ces mouvements ne seraient plus possibles; mais que le transfert de muscles favoriserait les mouvements du bras par devant; ce qui faciliterait l'écriture; tendre la main etc... etc...  Le chirurgien me dit qu'il tentait là une expérience dont il ne pouvait me garantir le succès.  Je subis l'intervention et revins avec un spica , c'est à dire un plâtre entourant mon tronc et mon bras droit .  Si j'avais pu me tenir debout; j'aurais eu la pose de la statue de la Liberté.

D'avoir subi ces trois chirurgies en moins de cinq semaines fit qu'on dût me transfuser du sang.  Je fis une réaction à la transfusion.  Une terrible démangeaison qui dura trois jours.  Une nuit on admit une dame en plein délire mental dans un des deux lits transversaux.  Une fois le personnel infirmier sorti de la salle; elle s'assit dans son lit et nous regardant nous cria :  je vais tous vous tuer!!!  Sauf celle-ci; en pointant mon lit, ajoutant: C'est une enfant!  Faut dire qu'elle ne voyait pas grand chose de moi. Ma personne étant couverte de plâtre et de la façon que mon bras plâtré était positionné elle entrevoyait peu mon visage.  Moi-même ne la voyant qu'en glissant mon regard entre les deux bâtons fixés au plâtre et qui soutenait le bras dans la position voulu par le chirurgien.  Nous passâmes une nuit mouvementée. 

Entre ces trois chirurgies; je fus souvent demandé pour aller à l'auditorium où le Dr Gariépy donnait des conférences aux étudiants.  Je servis d'illustration vivante à ses démonstrations pédagogiques.  Je le fis toujours avec enthousiasme.  D'abord parce que ce fut une distraction et ensuite me sentant redevable des soins reçus; j'offris là compensation.  Sauf une fois où ma collaboration fit défaut.  On m'avait préparé pour aller pour un RX; donc je ne portais qu'une jaquette d'hôpital.  Pour la démonstration des mouvements que je pouvais faire; je fus moins démonstrative.  Les gradins de l'auditorium étaient remplis d'étudiants et non... ma jambe levait beaucoup moins qu'aux séances précédentes!!!

Dès le début de juin; on m'avertit qu'on me cherchait une place où faire ma convalescence.  Il me restait toujours trois mois de plâtre à faire. Impensable que je fasse ce temps en milieu familial.  On m'envoya à l'hôpital Villa Maria situé à Pointe aux Trembles.  C'était un immeuble de trois étages qu'on avait converti en centre pour convalescents.  Administré par les propriétaires, M et Mme Bouchard et leur fils Pierre et quelques employés.  M Bouchard et son fils vinrent me chercher à l'Hôtel Dieu .  Arrivé à Villa Maria; ils me montèrent au troisième.  Pas d'ascenseur, par les escaliers; couché sur une civière; ce ne fut pas évident de faire la montée.  On m'y installa; je reçus la visite du médecin de service, le Dr St-Laurent et je dînai.  Au début de l'après-midi, je revois M et Mme Bouchard qui m'avertissent qu'on me descend au premier étage.  Il y avait là une patience des Îles de la Madeleine, un peu plus âgée que moi.  Priscille Arseneau était diabétique.  Elle avait subi l'amputation d'une jambe.  Avec elle; tout était sujet à la rigolade.  Apprenant que j'étais native de la campagne; elle me rappelait la vie sur une ferme.  Elle salivait en parlant de la bonne crème épaisse et du bon sucre à la crème.  J'appréciai sa présence au cours des trois mois que dura mon séjour.

À mon arrivée, le médecin me prescrivit des somnifères sans s'informer si mon sommeil était perturbé.  Quand l'infirmière m'offrit mon somnifère au coucher, je protestai.  Elle me dit que c'était prescrit et que je devais le prendre que seul le médecin était autorisé à arrêter la prescription.  Elle n'avait pas terminer l'installation pour la nuit que je dormais  déjà.  Je dus attendre la prochaine visite du médecin qui se faisait une fois par semaine.  Je trouvai la semaine longue parce que ces somnifères m'embrouillaient le cerveau pour l'avant-midi. La semaine suivante; je fus soulagée de retrouver ma vivacité d'esprit.

Les jours passèrent avec les inconvénients qu'apporta la chaleur de l'été. J'eus de terribles démangeaisons au dos. Pierre Bouchard me fabriqua un grattoir avec un cintre de métal qu'il recouvrit de ouate maintenu avec des bandages.  Ma toilette quotidienne était courte; n'ayant que les cuisses, l'entrecuisse, un bras et le visage à laver. 

Au cours de l'été; mes amies de l'Hôtel Dieu me rendirent souvent visite.  Puis vint septembre.  J'espérai un appel pour mon retour à l'Hôtel Dieu.  Il tarda.  Si bien que je demandai qu'on appela. Je finis par partir et fus admise dans une chambre privée de l'aile Ste Thérèse.  Le lendemain; je vis passer Monsieur Bouchard et son fils avec une civière.  Ils vinrent me saluer et m'apprirent qu'ils venaient de reconduire Priscille Arseneau qui était dans un profond coma diabétique.  J'appris son décès le surlendemain. 

 

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