Je me raconte XXI

  I  XX

Au printemps 95; fin mai ou début juin, mon mari se présenta à l'hôpital pour demander une nouvelle carte.  Son état respiratoire était tel qu'on lui suggéra de passer par l'urgence.  On l'hospitalisa pour une quinzaine. Nous avions consenti à héberger notre fils qui se trouvait dans une impasse financière.  Le laisser aller du jeune homme perturbait l'esprit du père. Son séjour parmi nous dura trois mois et fut conflictuel entre lui et son père.  Je me trouvais prise entre l'arbre et l'écorce.  Son séjour fut de courte durée.  

Quelques jours après la sortie de l'hôpital; au déjeuner , je vis sur la cicatrice de l'ulcère de sa jambe un tout petit trou d'où pointait une petite goutte de suppuration. C'était reparti!  Nous fîmes appel au CLSC et on recommença le traitement qui avait mené à sa guérison... mais hélas! la guérison ne vint pas.  L'ulcère  devint une plaie sèche qui souillait à peine le pansement et qui devint très pénible à endurer.  Il devint impossible pour mon mari de se tenir sur cette jambe.  Il se déplaçait à l'aide d'une marchette ou de béquilles.  Emprunta mon fauteuil motorisé pour ses déplacements à l'extérieur. Le médecin lui prescrivait des pilules de Démerol au compte goutte tant elle craignait la dépendance.  Malgré ça; il passait ses nuits à taper du pied pour chasser la douleur.  Vers la fin de l'automne; les chirurgiens tentèrent un pontage fémoral espérant que ça apporterait une circulation suffisante à la jambe qui permettrait une guérison.  

À son retour à la maison; je constatai que le moral n'était pas fort.  Il fit une forte dépression.  Plusieurs fois par jour, il pleurait à chaudes larmes et le voyant pleurer m'attira des larmes.  Alors; c'était du joli.....  Ah! mais c'était quelque chose à voir que cet homme en pleurs même notre médecin de famille pleurait à le voir.  Un bon matin; il cessa d'un coup sec la prise de sa médication.  Quelle réaction ce fut!  Le soir venu; inquiète, je fis appel à info santé qui me dépêcha un médecin de garde au CLSC.  Quand il vit l'état de mon mari; il me demanda de sortir les médicaments qu'il prenait.  Je l'avisai qu'il avait cessé de les prendre et en regardant les contenants des pilules; il dit:  eh bien... il fait une réaction de sevrage.  Il expliqua alors comment procéder pour cesser de prendre la morphine.  Il prescrivit un antidépresseur  et quelques jours plus tard mon homme fut capable de recommencer à circuler, toujours à l'aide de béquilles.  

C'est dans cette période trouble que je reçu un appel m'annonçant le suicide de mon grand frère Laurent.  Nous avions eu sa visite précédemment , plus précisément en juin et en octobre.  En juin; il était sûrement dans une phase "high" de sa maladie bipolaire.  Ouf!  Il fut une journée et demie ici et à son départ; mon mari et moi ressentîmes le besoin d'un repos. Il parlait; parlait... de façon ininterrompue.  Nous nous éloignions de lui et son discours continuait.  Ça devait faire une bonne dizaine d'années que je l'avais vu.  Je le trouvai vieilli. La séparation récente d'avec sa femme l'avait très profondément marqué. Quand il revint en octobre... ce fut tout le contraire.  Il sortait de l'hôpital de Ville La Salle et il était d'un calme!  Il y était venu pour consulter le chirurgien qui l'avait soigné pour une jambe fracturée lors d'une chute du toit de sa maison qu'il était à construire en 90.  La guérison de sa jambe ne s'était pas bien faite.  Nous soupçonnions qu'il n'avait pas dû donner le temps au temps et sa jambe était vraiment dans un piteux état. Le chirurgien consulté ne voulut pas reprendre la chirurgie connaissant l'état de santé du patient.  Mon frère avait subi des pontages cardiaques et vu sa maladie maniaco-dépressive, le médecin devait juger que ça ne servirait pas de refaire le processus.  Cette fois-là; en sa présence, il me donna l'impression d'un homme résigné à son sort.  Son discours était pondéré. Son attitude très calme.  Alors... inutile de dire que l'annonce de son suicide me surprit énormément.  J'étais tellement atterrée par notre propre situation que l'effet de l'annonce s'estompa rapidement.  Trop rapidement pour être normal.  Il me fallait taire cette nouvelle à mon mari.  Je lui appris quelques mois plus tard quand je le jugeai assez solide moralement.

La vie continua.  Ses déplacements étaient limités.  Heureusement que l'arrivée du printemps et du beau temps permettaient des séjours sur la terrasse.  Il en profita beaucoup.  La veille de la Saint-Jean, notre fils était venu souper avec nous.  Après son départ, mon mari installé sur la terrasse, je m'approchai de la porte patio pour le jaser quelque peu.  Je ne pouvais pas franchir le seuil de cette porte qui faisait obstacle à mon fauteuil roulant. Mais que l'air était bon à respirer!!!  Après quelques temps; je me dirigeai vers la chambre à coucher afin de m'installer confortablement pour regarder le match des Expos à la télé.  En voulant faire mon transfert de mon fauteuil à mon lit, je le ratai et me retrouvai sur le plancher.  Mon mari qui était rentré prendre un rafraîchissement, entendit un bruit et je le vis apparaître.  En tentant de me relever, j'entendis un gros crac qui sembla provenir de son dos. Nous nous retrouvâmes tous les deux par terre.  Je ne voulais pas qu'il bouge, craignant une fracture de la colonne vertébrale.  Il nous fallait demander de l'aide.  Nous pûmes arriver à prendre le téléphone et signaler l'urgence.  Mon mari expliqua la situation et les avertit qu'il ne savait comment diable ils feraient pour entrer dans le logis. La porte d'entrée était verrouillée. 

Finalement nous vîmes arriver un ambulancier près de nous.  Il était entré par la porte patio donnant sur la terrasse en étant passé par le bureau de l'administration qui se trouvait adjacent à notre logis.  De la terrasse mitoyenne à la nôtre, il avait enjambé le garde-fou séparant les deux terrasses et était entré par la porte patio  restée entrouverte.  L'ambulancier vérifia notre état et nous dit:  je vais ouvrir à mon copain et au médecin. Après m'avoir rassise dans mon fauteuil, il transportèrent mon mari à l'hôpital pour examen. 

Je téléphonai à notre fils qui se rendit au chevet de son père.  Ils revinrent tous les deux en fin de soirée. Mon mari souffrait d'un claquage musculaire.  Il prit une bonne semaine à s'en remettre.

Les médecins commencèrent à suggérer l'amputation de cette jambe. À la mi-juillet, le jour de la consultation où la décision de l'amputation fut prise, comme il avait commencer à uriner le sang quelques jours avant il en parla au chirurgien.  Celui-ci prit le téléphone et appela un collègue en urologie.  Finalement l'appel pour l'hospitalisation vint et fin juillet 96, ce fut fait. Amputé à la mi-cuisse. Le lendemain de la chirurgie, on lui fit passer un examen en urologie et on découvrit 5 petites tumeurs.  Il dut être réopéré rapidement. Le physiatre qui le vit après l'amputation, ne semblait pas convaincu que le port d'une prothèse soit possible vu les nombreuses crises du nerf sciatique dans le passé.  Mon mari tint à ce que l'essai d'une prothèse se fit.  Alors il fut transféré à Villa Médica pour de la physiothérapie. Il resta hospitalisé pour un mois et il obtint son congé  Dede-amputé-2.jpg (42538 octets)  et continua sa physiothérapie en externe.  Dede-amputé-1.jpg (33705 octets)  Dede-amputé-3.jpg (31795 octets) Ce fut long.  Il fallut arrêter la physio périodiquement parce qu'aux examens de suivi en urologie, une tumeur revenait. Ce qui nécessitait une autre chirurgie.  Il eut 5 récidives dans un an et demi, autant de chirurgies. On lui a finalement injecté directement dans la vessie un médicament qui était à l'essai pour le cancer de la vessie. Il devait garder ce médicament le plus longtemps possible; le minimum était de 3 heures. Il subit ce traitement pour 5 semaines consécutives. Ce qui régla son problème.  

Cependant; la réadaptation fut plusieurs fois interrompue à cause de ces chirurgies et maints accidents dont une brûlure au moignon et la cuisse.  Il avait échappé le chaudron d'eau bouillante qui avait servi à cuire son blé d'Inde.  Méchante brûlure!  Le personnel médical pensait que s'en était fini pour le membre artificiel.  Le temps fini par guérir les plaies.  Il reprit les exercices avec la prothèse .  Il demeurait toujours très actif.  Au printemps 97, nous demandâmes la réorganisation du logis afin d'avoir plus de facilité dans nos déplacements.  La porte donnant accès à la terrasse était une porte patio avec un seuil trop élevé pour permettre la sortie avec nos fauteuils roulants.     Cette porte fut enlevée et remplacée par celle-ci Enfin!... je pouvais sortir sur la terrasse.  L'état de santé de mon mari lui permis de lui faire une toilette à cette terrasse. Les journées passées à prendre l'air.... et à regarder bricoler mon mari...     il était heureux de constater qu'il pouvait le faire sans trop de fatigue.   Son hobby favori lui était redonné.   Il construisit de petites cabanes à hirondelles.         De  voir ces petits oiseaux nous visiter fut pour nous pur enchantement.  C'est ainsi que nous passâmes l'été 98.

Lors de son amputation; mon mari était fort inquiet.  Il se demandait comment nous ferions pour tenir le coup.   C'est vraiment lui qui tenait la maison.  Il avait toujours été meilleurs qu'une femme dans la tenue de maison.  Pas très fort avec le budget... mais champion comme cuisinier (sauf pour les desserts; ça c'était mon domaine.)  et encore meilleurs dans les travaux ménagers.  Comme toujours; j'ai réussi à calmer son inquiétude en lui disant:  "si tu parviens à voir à toi-même comme je réussi à le faire pour moi; ce sera un bon début.  Pour le reste; nous verrons à l'usage.  Nous partagerons les tâches."  Ce que nous fîmes et ma foi... on s'en tira fort bien.

Ce fut tout un changement dans son mode de fonctionnement.  Habitué qu'il était à prendre de très longues marches tous les matins; à faire du lèche-vitrine , à s'occuper de l'approvisionnement en nourriture et tout le reste; il dut s'habituer à le faire en fauteuil roulant.  C'était évidemment beaucoup moins agréable.  Cependant, sociable comme il est; tout un chacun s'empressait de venir à son aide pour ouvrir les portes des magasins et lui aider. L'adaptation se fit bien à son grand étonnement. Il trouvait ses sorties fort agréables.  Il éveilla l'instinct maternel de plusieurs femmes, surtout des caissières des magasins.  Elles lui remontaient le moral et lui faisait la bise.  Les dames de l'immeuble ici, qui auparavant n'osaient l'aborder parce que son maintien en imposait se mirent à lui parler; à le dorloter.  Il aima ça!!!!

Il lui fallait se tenir occupé physiquement pour que son moral tienne .  L'été; il avait son bricolage.  L'hiver; s'était moins facile.  Il tint à déblayer la terrasse lors de tempête de neige.        Comme il ne voulait pas aller avec sa chaise roulante afin de ne pas entrer trop de neige dans le logis; il se servit d'une petite chaise sur roue (chaise de bureau) et c'est ainsi qu'il parvint à tenir la terrasse dégagée.  Ceci lui permettait de prendre l'air.

Je trouvais qu'il en faisait beaucoup trop vu son état et son âge. Sa façon de faire les choses m'inquiétait.  Il ne voulait pas changer ses façons de faire.  Il jonglait toutes sortes de plans pour arriver à fonctionner comme quand il était valide.  J'en avais la chair de poule quand je le voyais avec ses installations.  Mais bon... il avait toujours eu le don de se compliquer la vie. Avec lui; si ce n'était pas compliqué; ça ne pouvait pas être simple.  Rien ne l'arrêtait. Il avait un courage exemplaire.  Il fallait qu'il sorte à peu près tous les matins. L'hiver la neige ne l'arrêtait pas.      Nous avions un beau contrat de nettoyage à son retour.  Le fauteuil amenait la neige sale dans le logis.  Nous installions un tapis sous la chaise afin d'éviter que la neige fondue ne se répande en flaques d'eau.  Évidemment, je l'attendais avec ce qu'il fallait pour limiter les dégâts.  Un torchon dans une main et la moppe (balai à franges pour laver le sol) dans l'autre.  Ce n'était pas tellement compliqué.  Ces sorties le rendaient si heureux.  C'était ce qu'il appelait sa vie sociale.

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