La dépression ... sortons-en

Je déprime, tu déprimes, il déprime, nous déprimons... Le refrain et connu, archiconnu et on peut, sans crainte de se tromper, affirmer qu'il est en tête de liste au palmarès des maladies qui affligent notre civilisation.
Aux États-Unis par exemple, 40 millions de personnes souffrent de dépression.  Et de ce nombre, les deux tiers sont des femmes.  En fait, l'Organisation mondiale de la santé assure qu'une personne sur quatre en serait atteinte.
Les articles, les livres, les colloques, les émissions consacrées à cette maladie qui génère une dose inouïe de souffrances ne se comptent plus.  À telle enseigne qu'on peut se demander s'il reste encore quelque chose à dire là-dessus.  Et bien oui, justement, il reste... le fond du panier.
Dans cet article, à partir de maintenant, il n'y aura plus de statistiques.  Nulle part vous ne trouverez de définitions savantes, de classifications subtiles de la maladie.  Encore moins de discours scientifiques sur les racines biologiques de la dépression ou de discussion sur l'efficacité du lithium prescrit dans le cas de certaines formes de la maladie.

Avec la complicité de deux femmes spécialistes en la matière, le docteure Suzanne Lamarre, psychiatre attachée à l'hôpital Charles-Lemoyne et Louise Landry-Balas, psychologue au même hôpital, nous avons eu l'idée d'explorer avec un miroir grossissant les relations que les déprimé(e)s entretiennent avec le monde.  Voici notre journal de bord...

Vous avez dit "déprimé" ?

"As-tu vu Solange ?
--Non, pas récemment.  Depuis que son chum l'a quittée, elle ne veut plus voir personne.
"Dis donc Lucie, viens-tu au cinéma ce soir?
--Non.  Je n'ai pas le goût.  J'ai les bleus... depuis quelque temps, tout va mal!
"As-tu invité Paul à ton party ?
--Grand Dieu non ! Je ne voulais pas de casseur de veillée.  Il est ennuyant comme la pluie en ce moment.  Ça ne va pas du tout depuis son accident..."

Solange, Lucie et Paul ne filent pas fort.  Ils sont tristes et ils souffrent probablement de sentiments dépressifs mais pas de dépression.  Nuance.  "Tout le monde dans la vie fait face à des situations difficiles:  la mort d'un être cher, une peine d'amour, un licenciement, un échec professionnel, un accident, etc... explique Louise Landry-Balas.  Mais pourquoi un accident, si pénible soit-il, devrait-il nécessairement entraîner une dépression chez un être humain ?  Une femme qui perd son père ou sa mère, par exemple. vit un moment pénible.  Elle souffre, elle a de la peine, elle éprouve des sentiments dépressifs.  Mais c'est parfaitement normal de ressentir du chagrin à la mort de quelqu'un qu'on aime.  C'est la vie ça.  On doit accepter le fait que, à la suite de certains événements plus ou moins traumatisants, on se sente triste, plus près des larmes, moins stimulé par le monde extérieur.  Après un choc, une épreuve, on ne saute pas haut, on a moins de capacité de concentration, moins d'énergie, et ça va durer un certain temps.  Mais je ne pense pas qu'on doive conclure à une maladie dépressive pour autant..."

La vie n'est pas une mer au calme plat.  Elle est constituée de vagues, de hauts et de bas, comme la température.  Ainsi, il ne fait pas toujours beau et le capitaine du bateau sait bien quand on lui annonce du mauvais temps qu'il doit être prêt à faire face à des zones de perturbations, à des vents plus ou moins violents.  "C'est quand on veut à tout prix tout contrôler, quand on refuse d'accepter le mauvais temps, les bas de la vie, qu'on refuse de vivre l'émotion désagréable qui accompagne l'orage au point de sombrer dans la dépression, " ajoute Suzanne Lamarre.

Exit dépression

Dans la pratique, Louise Landry-Balas et Suzanne Lamarre rencontrent beaucoup de gens en dépression qui ont vécu des situations traumatisantes --deuil, divorce, etc... --.  Ces personnes; à cause de l'éventail restreint de leurs réactions, n'ont pu trouver celle qui leur aurait permis d'accepter l'épreuve, de passer au travers et elles ont fait une dépression.  Elles n'ont finalement pas trouvé d'autres issues que la maladie.  Mais ce n'est pas le choc du deuil, du divorce comme tel qui a causé leur dépression.  La maladie était la seule porte de sortie, la seule forme d'adaptation à une situation qu'elles ne pouvaient changer et qu'elles n'ont pas accepter.
 

Faire une dépression, c'est s'épuiser dans des aspirations impossibles, c'est brûler son énergie à jouer les Don Quichotte.  Et cet épuisement est autant physique puisque le corps et l'esprit ne font qu'un, puisque ce qui perturbe le premier atteint aussi l'autre et vice-versa.  Si on ne cesse de s'épuiser, on finit par se blâmer, se culpabiliser, se dévaloriser et on se retrouve un jour en pleine dépression.

Comment faire autrement ?  Selon Suzanne Lamarre, il faut évaluer les situations pour reconnaître rapidement ce qu'on peut y changer, il ne s'agit pas de piétiner dans la révolte et la rumination, ni de stagner dans la résignation ou la soumission, mais bien de faire un choix actif.  On peut se rendre compte qu'on a accepté, quand on est en train de se réorganiser avec la chose ou la personne que l'on contestait."  Les symptômes de la dépression sont aujourd'hui bien connus:  fatigue, insomnie, problèmes de digestion et d'élimination, manque d'intérêt pour les choses de la vie, sentiment d'impuissance, de culpabilité, de nullité:  "Je ne vaux rien, je ne peux rien, il n'y a plus rien à faire, je ne m'en sortirai jamais."   Et peut-être l'idée d'en finir avec la vie. Le principe, il y a dépression lorsque ces symptômes durent, pas seulement deux ou trois jours, mais au moins deux ou trois semaines.

Se sentir bien dans sa peau

La télé le dit, les revues aussi--Châtelaine le dit !-- et les gourous ad vitam aeternam le clament :  sois bien dans ta peau, sois belle, souris, sois jeune, plais.  Nous voici à l'ère de la peau heureuse. 24 heures sur 24, et le message nous envahi jusqu'à la moelle.  " C'est de la foutaise !  s'exclame Louise Landry-Balas. Je ne peux être toujours bien dans ma peau.  Il y a des fois où je me sens mal, où j'ai le cafard, où j'éprouve une sensation d'anxiété.  Mais le lavage de cerveau que nous subissons depuis quelques années est tel que nous sommes convaincus que ce n'est pas correct, pas normal, pas acceptable de se sentir mal.  On n'a pas le droit.  Et si ça arrive, on se dit que c'est surement de sa faute:  on n'a pas fait ce qu'il fallait."

Catherine se sent mal.  Mais au lieu d'écouter le message de son corps qui veut le lui transmettre, elle avale des pilules--tranquillisants somnifères, parce qu'elle veut à tout prix se sentir bien. Ou tout au moins fonctionner comme avant.  "Au lieu d'écouter le grondement sain de son corps, elle étouffe le message pour ne plus l'entendre.  Elle endort ce qui éventuellement deviendra une révolte et elle sera tout étonnée quand la révolution éclatera, maladie physique grave ou dépression,"  commente Louise Landry-Balas.

Selon nos deux spécialistes, nous avons tout intérêt à être près de nos émotions, à être patients et attentifs quand nous nous sentons mal dans notre peau.  "Au début, explique Louise, on sent seulement que quelque chose quelque part ne va pas.  On ne sait pas quoi, on ne sent pas où.  Il faut attendre, recueillir des indices, tenter de décoder ces émotions, ces signaux qui montent à la surface du corps, de la peau.  S'écouter et essayer de faire le lien entre le vécu, la sensation et l'émotion.  À un moment donné, on commence à voir clair...".

Détour-construction 

Pour Suzanne Lamarre et Louise Landry-Balas, la dépression, c'est essentiellement le symptôme d'une situation, d'une relation non fonctionnelle.  Autrement dit, l'espace entre la personne et une situation et une situation ou une autre personne doit être exploré soigneusement parce que c'est là-dedans que quelque chose cloche.

Malheureusement, notre apprentissage ne nous a guère préparés à respecter, à décoder et à explorer nos rapports avec les autres, ni nos relations, ni nos malaises.  Alors que nous étions enfants, on nous a appris à être gentils, serviables, dociles, souriants (surtout les filles) et à nous méfier des messages corporels, à refréner nos colères, nos chagrins et nos larmes (particulièrement les garçons).

Ainsi combien d'entre nous ont été forcés de vider leur assiette alors qu'ils n'avaient plus faim...".  L'enfant qui n'a plus faim, comme dit Suzanne Lamarre, et qu'on force à manger, ne peut pas se sentir bien.  Il est bourré, mal à l'aise; et pourtant on lui dit qu'il a bien mangé, qu'il est gentil, qu'on est content de lui.  S'il veut satisfaire ses parents, être aimé, il conclut qu'il doit se conformer à leur code à eux, au mépris de ce que son cœur et son corps lui disent !  Et à 20 ans, au lieu de vivre en fonction de ce qu'il est, il vivra en fonction des autres, désireux de satisfaire leurs attentes au détriment de ses besoins à lui, et il sera continuellement en train de se demander ce que les gens pensent de lui parce qu'il ne pourra pas supporter de n'être pas aimable, conforme à ce qu'on attend de lui.  Il voudra par conséquent tout contrôler dans sa vie et si, à un moment donné, il s'engage dans une relation étouffante ou insatisfaisante, s'il traverse une situation délicate, il sera incapable, lésé, coincé."

Attention:  terrain privé

Dans la vie, chaque être humain doit absolument se charger de son territoire physique et moral et respecter celui de l'autre.  C'est une question de vie ou de mort.  "Ça signifie, comme l'affirme Suzanne Lamarre, qu'on doit être capable de voir à son territoire"  et ne laisser personne nous envahir.  Mais à cause de notre mode d'apprentissage toujours, on ne réagit pas ou mal quand on est lésé, parce qu'on a peur de fâcher l'autre, de lui déplaire, donc de ne plus être aimable.  On est trop préoccupé de plaire à l'autre pour penser à se plaire à soi.  C'est ainsi qu'on développe des mécanismes pour dominer l'autre et c'est ainsi qu'on finit par être soi-même dominé.  Je pense qu'il est important  de développer la conscience de son territoire, de s'entendre avec les autres dans le respect de sa personne, parce que ça peut éviter bien des malheurs."

Le malade déprimé a-t-il un territoire ?   "Un déprimé, c'est quelqu'un qui est écrasé, étouffé, ficelé dans son territoire, qui est incapable de réagir ou même d'entendre son corps réagir quand on lui pile dessus et qui parfois est en train d'étouffer son partenaire ou ses proches qui, eux, non plus, ne défendent pas --ou défendent mal-- leur territoire, répond Louise Landry-Balas.  La dépression, c'est un grand cri d'alarme du corps qui souffre,"  Le dernier avant l'asphyxie, celle du malade ou de son partenaire...  Exemple typique :  Réjane, 39 ans, est en thérapie avec son mari Jean.  Elle est dépressive.  Jean veut tellement aider sa femme qu'il accepte absolument tout d'elle.  Louise Landry-Balas se rend compte après quelque temps que Jean, malgré les agressions répétées de Réjane à son endroit, ne réagit pas.  Ainsi, elle lui reproche ce matin d'avoir mis pour l'entrevue un chandail qu'elle n'aime pas et elle lui demande de l'enlever.  Visiblement, Jean n'a nulle envie d'enlever son chandail, et pourtant, il s'apprête à le faire.  Alors, pour tester les défenses de Jean, la thérapeute se lève et ostensiblement lui écrase le pied.  Jean ne bouge pas.  Louise lui fait remarquer qu'il défend bien mal son territoire et qu'il doit se sentir très brimé dans la vie.  La docteure Lamarre, qui participe à l'entretien, décide d'utiliser la technique du paradoxe pour voir si Jean a bien compris le message et elle demande ;à Réjane d'insister pour que Jean enlève finalement son "affreux" chandail.  Le mari commence à comprendre et pour la première fois, il va dire non à sa femme.  Pour la première fois, il va se respecter et ne pas agir contre lui.

Dans l'entourage d'une personne en dépression, il y a toujours et souvent une ou plusieurs très "bonnes" personnes.  Une ou des personnes qui ont joué un rôle dans le déclenchement de la maladie et qui risquent d'en jouer un autre dans son évolution, pour le meilleur ou pour le pire.

Prudence : aire de jeux

Nous voici arrivés au cœur de la question, au fond du panier.  Qu'est-ce qui se passe donc dans une relation entre deux personnes --ami, conjoint, employé-patron, parent-enfant, etc... ?  "À la lumière de l'expérience acquise dans notre pratique médicale et clinique, nous avons remarqué qu'il existe deux sortes de rapports, répondent nos deux spécialistes.  Ceux qui s'appuient sur la dépendance et ceux basés sur l'autonomie."

Pour comprendre ce qui se passe, prenons le cas de Clément et Huguette qui entretiennent entre eux, depuis plusieurs années, une relation de dépendance.  Au début, le couple trouvait la situation confortable, voire agréable, mais au fil des ans, celle-ci s'est détériorée, petit à petit.  "Le pouvoir de Clément diminuait les chances de développement de Huguette, l'opprimait, l'épuisait.  Elle se sentait de plus en plus incompétente, inadéquate, et pourtant elle recherchait de plus en plus Clément et son pouvoir --qui la diminuait à son insu--.

"Une personne sans pouvoir recherche forcément un ou une partenaire qui en a.  Par contre, une personne qui a du pouvoir mais qui n'en est pas sûre recherche une personne démunie pour lui imposer son pouvoir et ainsi se convaincre qu'elle en a et qu'elle est capable de le garder."

Entre Clément et Huguette, l'hostilité , la rancune, la jalousie sont apparues.  Clément avait de plus en plus besoin de la dépendance de Huguette tandis qu'elle s'accrochait plus que jamais au pouvoir de Clément.  Chacun tenait l'autre.  Chacun avait besoin de l'autre, à ce stade, ils étaient incapables de se quitter, même si leur relation était devenue profondément frustrante.

"Chez Huguette sont bientôt apparus les premiers signes de victimisations:  L'anxiété, les malaises divers, le besoin de tranquillisants et de somnifères.  Puis à la fin, la maladie dépressive s'est installée dans son corps et dans son esprit.  Et Clément s'est senti coupable..."

Après deux années de thérapie, le couple s'en est sorti et a commencé à développer une relation basée sur l'autonomie.  Clément a découvert que quand on a réellement du pouvoir, on a pas besoin de l'imposer aux autres, et il a appris à mettre son pouvoir au service de Huguette, à la valoriser.  Elle a appris à développer du pouvoir, le sien, en trouvant en elle toutes sortes de ressources qui lui ont permis de se prendre en main, de devenir un être compétent.  Aujourd'hui tous deux se sentent finalement libres d'être ensemble :  ils savent qu'ils ont la capacité de se quitter, mais ils en sentent très peu le besoin, puisque chacun est déjà libre.  Le couple a développé une sorte de troisième œil qui voit à ne pas rendre l'autre dépendant, à ce qu'il n'y ait pas de disproportion entre les pouvoirs. 

La jalousie, la rancune, la rigidité --chacun s'était figé dans un rôle et n'en sortait pas-- sont disparus pour faire place à la créativité, à l'ingéniosité, à la souplesse-- forcément puisque leur nouvelle relation baigne dans l'huile-- et la générosité, toutes qualités qui se retrouvent à la base d'une relation autonome.  Pour Louise Landry-Balas et Suzanne Lamarre, l'autonomie, c'est, somme toute, la capacité de se passer de l'autre, au pis aller.

L'autonomie s'est se sentir compétent, être capitaine à bord de son bateau, voir à son territoire et tirer sa compétence non pas du pouvoir qu'on exerce sur les autres, mais de sa capacité à faire face à une foule de situations avec des outils multiples.  C'est pouvoir reconnaître ses besoins et ses faiblesses; pouvoir échanger avec les autres --surtout pas avec une seule personne, qui advenant sa disparition, c'est la catastrophe--  sans tomber dans la rivalité ou dans la dépendance.

Exemple intéressant et... typique :  Louise Landry-Balas reçoit en consultation un couple dont la femme est légèrement déprimée.  Ils reviennent de voyage à la Nouvelle Orléans et la femme se plaint que son mari n'a pas cessé de la harceler lorsqu'elle était au volant.  Louise lui demande pourquoi elle n'a pas aimé ça.  "Il m'a donné l'impression de vouloir me dominer, comme toujours."  Le mari essaie de se justifier:  "Tu sais que tu conduis pas si bien que ça..."  La thérapeute demande au mari quelle note il donne à sa femme, "80% pour moi et...70% pour elle--" "Ah bon!  Er c'est ça qui te donne le droit de toujours lui dire quoi faire? rétorque Louise.  Est-ce qu'elle t'écoute quand tu lui passes une observation?"   "Non, elle n'en fait qu'à sa tête."

"En fait, commente la psychologue, il a fini par avouer qu'il avait peur quand elle était au volant.  Et elle a aussi déclaré qu'elle avait peur quand son mari conduisait.  À ma question :  Qu'est-ce qui pourrait vous enlever votre peur? chacun à rétorqué : Eh bien! que ce soit moi qui conduise!  Voilà une situation où deux personnes souffrent dans leur relation parce qu'elles ne se reconnaissent pas mutuellement leur compétence et il y en a toujours un qui essaie de contrôler l'autre.  "Remarquez que la femme réagit.  Le couple en fait, essaie de s'ajuster tant bien que mal et la relation qu'ils ont n'est pas fixe.  Elle bouge encore.  Ils vont tous les deux devoir apprendre à dire ce qu'ils ressentent.  Au lieu de se maîtriser mutuellement, ils vont avoir à se dire leur peur.  Ceci va leur permettre de trouver un ajustement valable ; non pas dans le but de se dominer l'un l'autre mais dans le souci du respect de leurs émotions multiples.  C'est peut-être ça aimer..." 

Fin des réparations

Heureusement, on peut arriver à sortir d'une dépression.  Tout est dans la manière.  Aujourd'hui, les médecins prescrivent fréquemment des tricalciques et des antidépresseurs qui vont physiologiquement rétablir le "courant".  On a découvert en effet que les malades en dépression présentent des anomalies endocriniennes importantes probablement dues à une déficience des neurotransmetteurs.  Mais si les médicaments --il faut compter trois semaines avant qu'ils agissent-- parviennent à remettre les circuits défectueux en état, la partie n'est pas gagnée pour autant et le plus important reste à faire.  Le malade doit trouver comment et pourquoi il en est arrivé à sa dépression et ce qu'il essaie de dire à son entourage par le biais de sa maladie.

L'entourage.  Parlons-en : le plus souvent, le comportement des gens qui entourent un déprimé est tellement inadéquat qu'il risque fort de maintenir le malade dans sa dépression ou de provoquer une escalade qui peut aboutir à une tentative de suicide.   "Vivre avec un déprimé, c'est terrible, affirme Suzanne Lamarre, et le meilleur service qu'on puisse rendre au malade c'est de lui dire :"Je pense que ça ne va pas du tout et que tu aurais intérêt à consulter.  Moi, en tout cas, je n'en peux plus..."  Or, autour d'un déprimé, il y a beaucoup de culpabilité.  "On va t'aider, tu vas voir... ça va passer, c'est pas grave."  Les gens ont peur de dire leurs limites.  Ils craignent de faire de la peine au malade.  Finalement, les méfaits d'un système de bonté, c'est pire que la maladie elle-même et ça détruit tout le monde."

Une chose importante doit encore être dite :  plus la cause de la dépression est évidente pour tout le monde, moins la maladie est pénible.  Roger fait une dépression : il y a six mois, il a perdu sa femme et sa fille dans un accident d'auto.  Sa maladie est donc "acceptable", reconnue par son entourage.  Roger a le droit d'être malade.

Henri fait aussi une dépression, à cause d'un problème personnel.  Mais comme il occupe un poste de direction dans une entreprise importante, qu'il a une compagne correcte, deux enfants charmants, une maison qui fait l'envie de tout le monde, son entourage ne comprend pas et juge inadmissible qu'il trouve le moyen d'être malade "dans la tête".  Au plus profond de lui, Henri se sent terriblement coupable :  on lui fait sentir qu'il n'a pas le droit d'être malade.

Contrôle...

Ce dont ni le malade, ni les "bonnes" personnes de son entourage ne sont pas conscients, c'est du pouvoir qu'a le déprimé.  Exemple pathétique :  entre Fernande et son mari Luc, rien ne va plus depuis un certain nombres d'années.  Le jour où Luc tombe en amour ailleurs, Fernande perd les pédales.  Les rapports entre les deux conjoints s'enveniment et c'est l'escalade, jusqu'à ce que Fernande fasse un dépression.  Luc évidemment se sent coupable.  Pourtant, il veut en finir et un beau jour, il annonce à sa femme qu'il compte la quitter.  Fernande alors menace de se suicider.  Que peut faire Luc?  Partir quand même et courir le risque qu'elle passe aux actes ?  Rester et endurer ?

Louise Landry-Balas commente :  "Il faut absolument que la relation entre Luc et Fernande bascule.  Fernande, dans une ultime tentative pour contrôler Luc, le met au défi.  Elle se sent tellement nulle et incompétente --elle est persuadée qu'elle a besoin de lui pour être complétée-- qu'elle ne trouve pas d'autre façon pour crier à l'aide et par un processus de victimisation, elle en vient au suicide.  Pour arriver à faire basculer la relation, Luc va devoir reconnaître sa position "en-bas" par rapport à Fernande qui le "tient" :  "Tu m'as... tu me touches en disant ça.  Bon, je vais rester.  Pas parce que je t'aime.  Parce que ça me dérangerait beaucoup si tu te tuais.  Je reste et on va se parler.   Beaucoup.  On va prendre le temps pour voir comment on pourrait en arriver à se libérer..."  En reconnaissant le pouvoir de Fernande, Luc commence à désamorcer la dépendance au sein du couple.  Tout d'un coup, Fernande n'est plus dominée et lui n'est plus le dominant.  Le couple a besoin d'aide et il ne devrait pas se séparer, selon le docteure Lamarre, avant d'en être arrivé à une relation correcte, avant d'avoir liquidé le gros de sa rancœur, de son agressivité, de sa peine.

Soyez prudent--bon voyage

Peut-on prévenir la dépression?  Nos deux spécialistes répondent par un oui catégorique :  "Pas systématiquement, mais souvent.  Quand on se sent mal dans sa peau, il faut se mettre à l'écoute de soi et surtout ne pas masquer les malaises, en avalant des pilules.  Si on n'arrive pas seul à trouver la source de ses malaises, on devrait à ce moment précis demander de l'aide à un thérapeute.  Peu importe la technique qu'il pratique, pourvu que la personne en arrive à se sentir en confiance et que la thérapeute la fasse progresser.  Ainsi, elle peut découvrir que la relation qu'elle a avec son conjoint la détruit, ou encore qu'elle se sent incompétente dans tout ce qu'elle fait.  Dans le premier cas, il est clair qu'il est temps pour elle non pas de couper définitivement avec l'autre, mais de prendre du recul et d'essayer de trouver pourquoi leur relation est si destructive.  On se détruit quand on est toujours en train de ruminer ses griefs, ou encore de se demander : bon, aujourd'hui, qu'est-ce qu'il va encore trouver de travers chez-moi ?  Il est possible que le recul pris, on débouche sur la séparation.  Il est possible aussi que la relation reparte sur 4 roues au lieu de 3.  En tout cas, une chose est certaine :  la séparation, si c'est la solution, ne doit pas se faire brutalement, au moment où chacun est plein de rancune envers l'autre.

Si on se sent incompétent partout, il faut absolument aller chercher une compétence.  Dans ce cas précis, il n'est pas toujours nécessaire d'aller voir un thérapeute.  Suivre un cours de danse ou de poterie peut suffire. Nos spécialistes croient que les femmes doivent tout particulièrement veiller à ne pas jouer à la femme faible ou à la super-femme.  Dans les deux cas, cela signifie qu'elles se figent dans un rôle, ce qui mène invariablement à la victimisation ou à l'épuisement.  "Les femmes ont tout intérêt à prendre conscience qu'elles n'ont pas besoin d'un homme pour être complétées.  Elles doivent apprendre qu'elles ne sont pas des locomotives destinées à faire un parcours linéaire mais come les hommes, des véhicules tout terrains.  Ce qui nuit à certaines factions féminines en ce moment, c'est justement qu'elles n'en finissent plus de vouloir prouver qu'elles sont des victimes.  L'étape de la révolte est très importante et il faut la vivre.  Mais il faut aussi en sortir et déboucher sur l'autonomie!"

Il se peut qu'on arrive pas toujours à éviter la dépression.  Alors tant pis.  Il faut accepter ce temps de "repos" et surtout demander de l'aide aussi vite que possible afin de limiter les dégâts.  Il faut enregistrer comment la dépression s'est manifestée, causer avec d'autres personnes qui en on fait l'expérience.  C'est ainsi qu'on apprend...

On vous demande régulièrement :"Comment ça va ?"   Ne répondez pas trop vite.  Et, par politesse, ne vous croyez pas obligés de répondre : "Bien merci!"  .  Si ça va mal, dites-le, non pas pour qu'on vous prenne en pitié, mais pour rendre témoignage de ce que vous êtes.  "Quand ça ne va pas bien, on le dit.  C'est déjà "montrer" son territoire, être capable d'exprimer ce qu'on ressent..."   L'ABC dans la vie, qu'on ne nous a malheureusement pas appris à l'école !

 

 

 

 

 

 

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