La satisfaction de soi.
(texte de Denis Monette)

Être satisfait de soi.

Il m'arrive de demander aux gens en entrevue :"Vous êtes heureux présentement?"  Il m'arrive même de me faire demander : "Avec tout ce qui vous arrive, vous devez être au comble du bonheur?"  Quel grand mot que celui-là.  C'est comme si le moindre bien-être s'avérait un grand bonheur. 

Plus jeune, j'aurais certainement répondu :" Oh! oui, je n'ai jamais été si heureux!" , mais avec l'âge et la sagesse qui s'y ajoute, j'en suis à répondre :" Le plus important dans la vie, c'est d'être satisfait de soi dans tout ce que l'on fait."

Le bonheur est un si grand mot qu'il serait gênant de se l'octroyer en entier.  J'ai depuis longtemps capitulé sur cette "possession"  pour me contenter d'en avoir une juste part, pas davantage. 

Être satisfait de ce que l'on fait, de ce que l'on vit; c'est déjà un bien doux contentement.  Ça rend heureux, bien sûr, mais de là à dire que chaque bon jour est "un bonheur total", je ne m'y risquerais pas; car il me faudrait dès le moindre pépin, crier "au malheur total" alors que dans ces moments-là, je préfère dire que je suis tout simplement "insatisfait" de la tournure des événements.

Être satisfait de soi, c'est avoir bonne conscience du devoir accompli.  C'est également avoir la sensation que le but visé a été atteint de bon aloi et que les efforts se veulent récompensés.   N'est-ce pas déjà beau que de pouvoir se dire :" Moi, ce qui m'arrive me satisfait grandement?"  Il ne faut pas se leurrer, c'est parfois à s'attendre à trop de bonheur qu'on en vient à passer juste à côté de ce doux émoi qu'est la satisfaction de soi.

La même chose s'applique sur le plan de l'amour.  Crier sur tous les toits :" C'est un bonheur à l'infini" est tout simplement l'élan de passion qu'on projette pour ensuite difficilement se remettre de la moindre diminution.  Même dans ce noble rêve, il vaut mieux être pleinement satisfait de sa vie à deux, de son amour présent, que d'afficher l'étendard d'un bonheur qui trop souvent change de couleur. En arriver à se comprendre, à s'aimer, à faire des compromis l'un pour l'autre, n'est-ce pas atteindre la satisfaction d'un partage bougrement réussi? 

Que ce soit au travail, dans sa vie intime ou dans une amitié profonde, l'état de satisfaction de soi est plus équitable parce que plus durable.

Être satisfait de soi, c'est gravir, une marche à la fois l'escalier de la stabilité.  On a parfois peur de dire:" Ce qui m'arrive me satisfait" de peur que l'autre ne se sente pas à la hauteur de ce bonheur anticipé.  Le mot "satisfaction" sonne parfois comme un échec, mais ne dit-on pas que tout bonheur que la main n'atteint pas... n'est qu'un rêve? Oui, voilà bien le nœud de tous nos sentiments.  Le rêve, l'interminable rêve qu'on veut réalité du jour au lendemain.  C'est comme si rêver d'une muse veut dire que la harpe descendra d'un nuage. Sur terre, tout se construit, tout s'érige... et le bonheur qui semble parfois se faire attendre oublie de nous souffler à l'oreille que la phase de la satisfaction nous habite jusqu'au fond du cœur.

Être satisfait ne veut pas dire que "c'est moindre" que ce qu'on espérait, c'est tout simplement nous faire prendre conscience qu'une part du bonheur bien cultivée vaut bien un grand bonheur qu'on finit par admettre avoir très mal ensemencé.

Ai-je réussi dans la vie?  Disons que je suis satisfait du chemin accompli.  Ai-je réussi ma vie?  Disons que je suis satisfait des efforts fournis.  Pourquoi mentir et prôner le bonheur avec un grand B... quand on est encore à l'espérer.  De toute façon, si le bonheur parfait était si facile à atteindre et à conserver, en serions-nous encore à toujours en rêver... pour mieux l'imaginer?

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