(gravure d'Henry Lemarié)

Le chêne et le roseau

Le chêne un jour dit au roseau:
"Vous avez bien sujet d'accuser la nature:
Un roitelet pour vous est un pesant fardeau,
Le moindre vent que d'aventure
Fait rider la face de l'eau
Vous oblige à baisser la tête:
Cependant que mon front, au Caucase pareil,
Non content d'arrêter les rayons du soleil,
Brave l'effort de la tempête.
Tout vous est aquilon, tout me semble zéphyr.
Encor si vous naissiez à l'abri du feuillage
Dont je couvre le voisinage,
Vous n'auriez pas tant à souffrir:
Je vous défendrais de l'orage.
Mais vous naissez le plus souvent
Sur les humides bords des royaumes du vent.
La nature envers vous me semble bien injuste,
-Votre compassion, lui répondit l'arbuste,
Part d'un bon naturel; mais quittez ce souci.
Les vents me sont moins que vous redoutables.
Je plie, et ne romps pas.  Vous avez jusqu'ici
Contre les coups épouvantables
Résisté sans courbé le dos;
Mais attendons la fin." Comme il disait ces mots,
Du bout de l'horizon accourt une furie
Le plus terrible des enfants
Que le Nord eût portés jusque-là dans ses flancs,
L'arbre tint bon, le roseau plie;
Le vent redouble d'efforts,
Et tient si bien qu'il déracine
Celui de qui la tête au ciel était voisine,
Et dont les pieds touchaient à l'empire des morts.

Les fables de Lafontaine

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