(gravure d'Henry Le marié)

L'huître et le plaideur

Un jour deux pèlerins sur la sable rencontrent
Une huître que le flot y venait d'apporter:
Ils l'avalent des yeux, du doigt ils se la montrent;
A l'égard de la dent, il fallut contester.
L'un se baissait déjà pour amasser la proie;
L'autre le pousse, et dit: "Il est bon de savoir
Qui de nous en aura la joie.
Celui qui le premier a pu l'apercevoir
En sera le gobeur; l'autre le verra faire.
--Si par là l'on juge l'affaire,
Reprit son compagnon, j'ai l'œil bon, Dieu merci.
--Je ne l'ai pas mauvais aussi,
Dit l'autre, et je l'ai vue avant vous, sur ma vie.
--Eh bien! vous l'avez vue, et moi, je l'ai sentie."
Pendant tout ce bel incident,
Perrin Dandin arrive:  ils le prennent pour juge,
Perrin fort gravement ouvre l'huître, et la gruge,
Nos deux messieurs le regardant.
Ce repas fait, il dit d'un ton de président:
"Tenez, la cour vous donne à chacun une écaille,
Sans dépens, et qu'en paix chacun chez soi s'en aille."
Mettez ce qu'il en coûte à plaider aujourd'hui;
Comptez ce qu'il en reste à beaucoup de familles;
Vous verrez que Perrin tire l'argent à lui,
Et ne laisse aux plaideurs que le sac et les quilles.

Les fables de Lafontaine

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(gravure de Grandville)